Pourquoi c'est si dur de relier les points ?
Le Bateleur #44 [Édition gratuite de septembre] - Tous les vendredis, des idées pour explorer la connaissance de soi et du monde. En 7 minutes de lecture - Gif et bande son inclus.
Édito : Compassion > Solutions
Dans cette newsletter, j’essaie parfois de vous partager des solutions à des problèmes qui me traversent. Ou en tout cas de proposer des pistes de résolution qui répondent à la question : comment ?
Révélation post-trentaine : ce n’est pas forcément l’attitude dont chacun d’entre nous a besoin. (Demandez à ma copine).
La plupart du temps, l’être humain aspire simplement à de la compassion, à de l’écoute et à un accueil inconditionnel.
Nous avons déjà, quelque part à l’intérieur de nous-même, la plupart des réponses aux questions que nous nous posons. Mais il faut aller les chercher sous l’agitation du mental, sous les décombres de la pensée.
Je crois que la parole, comme l’écriture, sont d’excellents moyens d’apaiser ce chaos intérieur.
À travers votre lecture, vous m’offrez un espace pour dérouler mes pensées et y mettre de l’ordre. Déjà merci pour ça.
Votre présence m’amène aussi à traiter tous ces sujets avec beaucoup d’humilité et de précautions.
Je n’ai pas envie de vous proposer des solutions, seulement des explorations, des pistes sans certitudes, des options plus ou moins convaincantes… et plein de doutes.
Voyez Le Bateleur comme l’anti-manuel du savoir-être. Des idées nuancées, parfois contradictoires, parfois surprenantes, parfois confuses…mais authentiques.
C’est peut-être là où se situe le dernier bastion de l’écrivain face aux pensées génératives qui progressent à un rythme bluffant.
Tâchons d’être illogiques, fragiles, imparfaits et un peu fou.
Aujourd’hui, je m’efforcerai donc de ne pas totalement répondre à cette question :
Comment aboutir à un projet de vie cohérent qui s’inscrive à l’intersection des passions, des talents, des envies ? Comment avancer vers cette œuvre totale, que l’on pourrait nommer l’œuvre d’une vie ?
Autrement formulé… comment relier les points ?
Let’s dig in!
Kevin
Pourquoi c'est si dur de relier les points ?
Observations personnelles sur l’obsession de la recherche de sens.
Merci Steve et la passion des dessins à points
Enfant, j’étais plutôt mauvais en dessin, et c’est toujours pas une réussite.
Mais il y a un exercice qui m’apportait beaucoup de satisfaction : ce petit jeu où il faut relier les points en suivant les chiffres dans un ordre logique - j’ai un doute sur le nom scientifique de la discipline, a-t-elle même un nom ?
Voilà, je crois que l’envie de relier les points a commencé avec ça :
J’en rigole aujourd’hui, mais je vois une vraie symbolique là-dedans.
Il y avait sûrement quelque chose de rassurant dans le fait de suivre une séquence prédéfinie, de savoir qu'au milieu du chaos apparent de la feuille, allait surgir l’ordre et la clarté.
Il n’y avait qu’à suivre le chemin déjà tracé et faire confiance. Le sens de mes actions allait apparaître, comme par magie, ce n’était qu’une question de temps.
Dix ou quinze ans plus tard, on devait être en 2006, je tombe sur cette vidéo de Steve Jobs qui s’adresse aux diplômés de Stanford où il évoque à son tour l’idée de “connecting the dots”, relier les points dans sa vie.
Bien sûr, cela a résonné en moi, le passionné de dessin à points.
À cette époque, Internet me paraissait être cette zone de liberté aux accents anarcho-punk où l’on osait encore croire en un monde nouveau, un peu plus juste, un peu plus ouvert.
Ça paraît totalement naïf d’écrire ça aujourd’hui, mais il y a avait la poursuite d’un certain idéal dans le décloisonnement du savoir, dans le fait de rendre l’information globalement accessible.
Le web était encore une zone un peu sauvage, non domestiquée. Les idéalistes avaient encore le pouvoir et il n’était pas rare de croiser Larry Page et Sergueï Brin, les deux fondateurs de Google dans les travées du Burning Man à refaire le monde sous champis.
Qu’un jeune lycéen de Toulouse (c’est moi) puisse accéder au discours de Steve Jobs à Stanford avait quelque chose de magique et de fascinant.
Mais - fin de la parenthèse nostalgique - venons-en au fond de son propos.
Qu’est-ce qu’on entend par relier les points ?
En résumé, et même si je vous invite à regarder sa vidéo, Jobs explique comment tous ces cours un peu inutiles qu’il a pris tout au long de ses études, lui ont permis d’élaborer la grande œuvre de sa vie : fonder et diriger Apple.
Surtout, il souligne que le sens a surgi bien après. Il a fallu, dans un premier temps, passer par des explorations qui semblaient bien inutiles.
None of this had even a hope of a practical application in my life.
Steve Jobs
Par exemple, il raconte sa fascination pour les cours de calligraphie de l’université.
Au premier abord, cette discipline n’avait aucune utilité au sens pratique pour construire sa carrière. Pourtant, c’est là qu’est né son amour de la perfection des formes et du design, ce qui lui a permis, par la suite, de construire une marque à l’esthétisme si particulier.
L’idée de relier les points pourrait se définir comme ceci :
Espérer que toutes nos partitions musicales isolées, jouées à un moment ou un autre dans notre vie, se mettent à s’accorder, à s’imbriquer parfaitement au sein d’une symphonie grandiose.
Croire qu’un jour tout fera sens dans l’œuvre d’une vie.
Ce qui ne marche pas
Même si comme je vous l’expliquais en intro, je n’ai pas de recette magique, j’ai quand même un peu avancé dans mes réflexions.
Commençons par écarter ce qui ne marche pas, car il est plus facile de procéder par élimination.
Steve Jobs nous dit :
Vous ne pouvez pas relier les points en regardant vers l'avant ; vous ne pouvez les relier qu'en regardant vers l'arrière. Vous devez donc avoir confiance dans le fait que les points se connecteront d'une manière ou d'une autre dans votre avenir.
Voici le premier enseignement que je retiens : il n’y a pas de méthode, que des chemins singuliers. Mais surtout, décortiquer un succès ne constitue pas une méthode. C’est le récit d’une histoire.
La modernité est envahie d’entrepreneurs, sportifs ou célébrités qui dissèquent leur vie pour vendre des méthodes à succès.
Si l’on se penche deux minutes sur la manière, c’est complètement absurde. Vous prenez une expérience à issue positive et vous dites “voilà pourquoi ça marche”.
Scientifiquement, ça n’a aucune valeur, car une méthode devrait pouvoir se répéter dans le temps, indépendamment des contextes et des personnes.
Par exemple, si je vous dis : Comment gagner à pile ou face ? Mon livre méthode où j’explique tout !
Une fois, j’ai gagné à pile ou face dans ma vie. Voici ma méthode.
Je me suis levé à 5h du matin. J’ai fait une heure de jogging puis j’ai mis des chaussettes vertes. J’ai jeté ma pièce. Je voulais pile, et… c’est tombé sur pile. La preuve que ma méthode fonctionne !
→ Merci, ça fera 15€ pour la version e-book et 25€ pour la version imprimée sur papier recyclé (because we care for the environment 💚)
Bravo pour ta victoire à pile ou face l’ami. Mais en fait ça n’a rien d’une méthode. C’est une histoire. Une histoire qui a fonctionné une fois, mais qui n’a pas valeur de méthode.
Méfiez-vous donc, en toute circonstance, des méthodes magiques. Ce qui n’empêche pas que certaines histoires peuvent nous inspirer et méritent d’être écoutées.
En revanche, il me semble important de garder en tête que celui qui trace son œuvre de vie navigue à vue dans ce qui semble être un océan de non-sens.
Ce n’est qu’à posteriori qu’on pourra donner du sens à nos actions. La vie s’éprouve au présent, et l’histoire s’écrit après.
Voilà pourquoi il faut une sacrée dose de…
Confiance en la vie
Pour être honnête, j’aime bien moi aussi collectionner des micro-savoirs isolés en me disant “tiens ça pourrait me servir un jour". Mais, la plupart de ces apprentissages dorment encore dans ma mallette à outils.
Voilà par exemple, j’ai :
Passé des heures à apprendre des bases de langages informatiques pour ne jamais les utiliser ensuite (Javascript, python, SQL, HTML…)
Un diplôme d’École de commerce
Commencé une formation en psychologie
Pris des cours d’écriture de fiction
Un brevet de guide en plongée sous-marine
Donné des cours en études supérieures
….
Cette énumération ne vise pas à récolter vos louanges, mais plutôt à vous montrer où sont placés mes points sur ma carte de vie et pourquoi il est difficile pour moi aujourd’hui de tracer un dessin cohérent.
Voilà, pour l’instant, mon dessin de vie ressemble plutôt à ça :
Vous voyez un sens vous ? J’ai l’impression qu’on devine vaguement une pieuvre ou un fantôme. Oui, c’est un peu le test Rorschach…
Pour balayer mes doutes, j’essaie de penser à ce passage du discours de Jobs :
Vous devez faire confiance à quelque chose, à votre instinct, à votre destin, à la vie, au karma, à tout ce que vous voulez.
Croire que les points se rejoindront en cours de route vous donnera la confiance nécessaire pour suivre votre cœur, même lorsqu'il vous mène hors des sentiers battus, et cela fera toute la différence.
Voilà donc le second enseignement que je voudrais vous partager : ne pas hésiter à consacrer beaucoup de temps à faire des trucs inutiles.
J’irai même plus loin, l’inutile est nécessaire pour que le sens émerge par la suite.
L’inutile est cet espace entre les événements planifiés où le réel se tisse. C’est dans cet interstice, là où personne ne regarde, que les connexions se font.
J’ai déjà pas mal exploré cette question de l’inutile franchement utile dans cet article que je vous invite donc à relire, si l’envie vous prend :
Le sens, c’est l’histoire que l’on se raconte une fois qu’on est arrivé à destination
Après avoir passé quelques heures sur cette question, je crois qu’une évidence se présente : chercher à relier les points pendant le parcours est une erreur.
Jobs a relié les points après être allé au bout de son projet. Probablement, qu’il ne nous parle pas de tous ces points laissés sur le bord de la route qui ne servent pas son récit aujourd’hui, comme ces cours de cuisine coréenne qu’il a pris en seconde année de fac.
Il faut peut-être accepter aussi, que certains points restent isolés.
Il y a des passions, des savoirs et des expériences qui ne trouveront pas nécessairement leur place dans le grand schéma de notre vie.
Tout n’a pas besoin de se connecter.
Peut-être, ce qui est réellement important, c’est d’avoir pris plaisir à tracer quelques lignes, même si elles ne révèlent rien de concret.
Et finalement, c’est peut-être ça, la finalité du grand dessin : savoir que chaque point compte, même ceux qui ne se relient pas.
Voilà, j’avais dit que je n’avais pas de solutions à vous proposer, et je me retrouve à en exposer une ici…
Ouf, l’illogique est respecté !
💬 Et toi, comment te poses-tu la question du sens de tes actions ? Tu as déjà exploré cette idée de relier les points ? Les commentaires sont ouverts !
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Par ta réflexion Kevin,tu soulignes une question importante:faut il donner un sens à tout ce que l'on fait?
Nos actions,nos expériences nous enrichissent et disent quelque-chose sur nous même bien sûr. Mais qui a un seul objectif de vie,un seul but?Qui sait vraiment où il va?Peu de gens je crois...
Je trouve cette vidéo de Émilie Wapnick très éclairante sur la notion de "multipotentialité".(Peut être que ça te rappellera quequ'un..)
https://www.youtube.com/watch?v=u9vsUfdvaTo&t=231s
Je crois que l'important c'est D'OSER faire et peu à peu le chemin s'affine.
Merci de nous faire partager tes analyses / réflexions qui nous permettent,à nous , de nous poser les bonnes questions.
Kevin je ne même pas te dire à quel point ton article ton bien pour moi ce soir. Alors que je suis en plein doute parce que j’ai parfois du mal à faire comprendre mon parcours à mes proches (ils doutent et ça finit par me faire douter encore plus ce dont je me passerais bien).
Merci merci merci 🙏☺️