Bienvenue en agentique ! (Et pourquoi on tique) - Avec Marie Dollé
Le Bateleur #59 [Édition co-écrite avec Marie Dollé] - Tous les vendredis, des idées pour explorer la connaissance de soi et du monde. En 7 minutes de lecture - Gif et bande son inclus.
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Argentique, agentique et agentivité…
Trois mots qui ne vous disent peut-être pas grand chose, mais qui se révèlent très utiles pour penser le présent. 👇🏻

Cela fait un peu plus de quatre ans que je connais Marie Dollé. Nous avons bossé ensemble sur pas mal de sujets quand j’étais rédac’ chef de Magma, et j’ai toujours été bluffé par son talent pour dénicher les tendances, les vraies.
Pas juste les gadgets du moment, mais ces mouvements de fond qui transforment la société en silence.
Depuis que j’ai lancé Le Bateleur, on continue d’échanger sur les grands bouleversements en cours.
Et puis, bam : l’IA générative a débarqué.
Pour un chasseur de tendances, c’est LA vague du siècle. Le genre d’événement qu’on attend toute une carrière, comme un photographe planqué des mois pour capturer le cliché de la panthère des neiges.
Et voilà que la vague se forme sous nos yeux, immense, fascinante, inquiétante. Un miroir géant où se reflètent à la fois nos rêves de grandeur et nos pires angoisses existentielles.
En tant qu’humbles penseurs du présent, dans cette édition écrite à quatre mains (deux personnes donc – oui, c’était un piège), on s'est penchés sur la question des agents IA qui pointent le bout de leur nez.
Si vous n’êtes pas familier avec le concept, un agent IA est un logiciel qui exécute des tâches à la place de l’utilisateur. Il peut réserver vos vacances pendant que vous regardez Netflix en gros. (une démo en anglais ici).
Qu’est-ce qui change ? Tout.
On parle ici d’autonomie dans l’action avec une entité capable de prendre des décisions selon un objectif. Et bien sûr, ça ne se limitera pas à payer des billets d’avion moins chers…
Quelles sociétés dessinent-ils ? Il nous a semblé urgent de nous emparer de la question, avant qu’elle ne s’empare de nous.
Dans cet essai, nous jouons avec trois concepts aux sonorités similaires qui semblent dire tant de choses sur le présent.
L’agentique - l’ère des agents IA autonomes qui se dessine.
L’argentique - l’ère des pellicules d’appareils photos (si vous êtes nés après l’an 2000, vous avez le droit de faire une recherche Google)
L’agentivité - la faculté d'action d'un être, sa capacité à agir sur le monde et les autres, à les transformer ou les influencer.
Maintenant que les bases sont posées…
Let’s dig in!
Kevin
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Un glissement subtil
Bienvenue en agentique ! Google a balancé ce terme pour terminer 2024 par un dernier coup de com’. Faut dire que ça claque…
Mais un détail titille l’oreille : cette paronomase avec argentique. Un simple hasard phonétique ? Pas si sûr.
L’un fige l’instant, l’autre l’exécute.
L’argentique, l’époque révolue des péloches, imposait un choix. Chaque cliché était une décision, un engagement, un risque.
Puis est venu le cliché numérique : fluide, sans contrainte, sans limite. Toujours plus de pixels qui viennent saturer des serveurs à l’autre bout du monde.
L’image s’est multipliée, diluée, banalisée. Un cliché ne coûte plus rien… et ne vaut plus rien ?
No pain, no g(r)ain.
L’agentique semble suivre le même chemin. Les agents nous propulsent dans une ère où l’exécution devient immédiate, sans friction.
Toujours plus d’agents… mais moins d’agentivité ? En cédant une part de notre autonomie, nous renonçons collectivement à notre capacité d’agir sur le monde et les autres, à les transformer ou les influencer.
Nous renonçons aussi au pouvoir de l'intention.
D’ailleurs, une action sans intention… est-ce encore un acte ? 🤔
L’illusion du progrès sans limite
L’agentique promet une productivité infinie, une exécution sans faille. Plus vite, plus fluide, plus efficace.
Mais, à vouloir automatiser sans improviser, on exécute sans questionner. Et à force d’optimiser, on ne crée pas plus de valeur, on lisse ce qui faisait sens.
On pensait s’alléger, mais on ne fait que remplir autrement ! Car, certaines ressources ne se démultiplient pas. Le temps par exemple.
Il ne se compresse pas, mais se dilate dans l’espace disponible, c’est la fameuse loi de Parkinson.
L’IA ne déleste pas, elle augmente la cadence. On croyait alléger la charge, on a relevé la barre.
Un créatif qui produisait 10 visuels par semaine ? Il devra en générer 50.
Ce n’est plus une prouesse, c’est la nouvelle norme.
L’agentique ne simplifie pas, elle accélère. Le temps libéré n’est pas du temps gagné, c’est du temps requalifié.
Le progrès est là… et la liberté ? Elle se cherche encore.
Bienvenue dans la (c)ouch economy !
L’agentique promet de tout faire à notre place. Acheter, décider, exécuter. À nous, le luxe du temps libre total et permanent. Un monde où même lever le doigt semblera archaïque.
On peut quand même se poser la question : à quoi ces agents vont-ils servir concrètement ?
99 % du temps, ils ne feront que satisfaire un caprice, un peu comme le quick commerce l’a fait avant eux.
Se faire livrer une pizza congelée en 10 minutes ? Oui, c’est possible.
Regarder un bot réserver ses prochaines vacances ? Oui, c’est possible.
Oui, c’est possible… mais est-ce désirable ?
Ai-je vraiment besoin d’un modèle autonome, coûteux, énergivore… simplement pour le regarder acheter un pot de peinture sur Leroy Merlin pendant que je termine mon paquet de chips ?
Le capitalisme, à court de nouveaux objets à nous vendre, nous propose désormais l’illusion d’un temps libéré de toute contrainte… jusqu’à nous libérer de nous-même ?
Soyons un peu plus Marie que Marthe
Dans l’Évangile, Jésus visite deux sœurs. Marthe s’agite, sert, s’affaire. Marie, elle, s’assied et écoute. Exaspérée, Marthe interpelle Jésus. Il tranche : "Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée."
On lit souvent ce passage comme une ode à la contemplation. Mais peut-être qu’il dit autre chose…
Marthe remplit son devoir, elle répond aux attentes. Marie, elle, choisit. Elle choisit où porter son attention, où donner son temps, où exister.
Comment être plus Marie que Marthe ? En étant présent à tout… sauf aux obligations.
À l’échelle individuelle, c’est un équilibre délicat. Mais à l’échelle systémique, cette nuance disparaît.
L’agentique pousse cette logique à son extrême : elle ne choisit ni l’action ni la contemplation. Elle efface simplement la nécessité d’être.
Notre époque a fait du travail une identité. Supprimé par l’agentique, il ne reste rien, pas même du temps, car un temps sans nécessité devient un vide à combler coûte que coûte.
Chaque gain de productivité ne libère pas, il reconfigure. Ce qui était un progrès devient une norme. Ce qui était une opportunité devient une contrainte.
Alors que faire ?
Tracer nos propres limites. Décider de ce que nous remplissons ou laissons vide.
L’agentique trace des lignes droites. À nous de les tordre ! Car, le progrès n’a jamais été un problème, c’est l’abandon du sens qui l’est.
L’instinct pirate guette*
L’humain, par essence, sabotera toujours l’idée d’un monde parfaitement huilé. Nous avons cette capacité unique à détourner et à subvertir les règles du jeu.
Ce n’est pas un bug, c’est notre feature.
L’histoire ne se construit pas sur la perfection, mais sur sa capacité à être déjouée. Là où l’agentique croit tout fluidifier, l’humain, lui, sait faire gripper la machine.
Les pirates, les bricoleurs réinventent sans cesse la finalité des outils qu’on leur impose.
Notre avenir n’est peut-être pas d’être des consommateurs passifs de l’agentique… mais d’être ceux qui la détournent.
Et si avec ces agents IA, nous jouions à créer de nouveaux maîtres pour les contredire ?
Nous avons tué l’idée de Dieu par l’avènement de la science.
Mais avons-nous vraiment abandonné le besoin d’un démiurge ? Ou en cherchons-nous simplement un autre à hacker, défier et détruire…
On croit avancer par l’ordre, mais c’est toujours le désordre qui nous sauve !
👁️🗨️ Et vous que pensez-vous de cette ère qui se dessine ?
Les commentaires sont ouverts en bas de l'article !
*poke aux copains de Climax et à leur utopie pirate 🏴☠️
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The world seems so troubled at the moment but listening to this, I am at peace. Thank you.
- internaute anonyme -
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Bonne écoute et à très bientôt 👋
Kevin
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Franchement merci pour cette édition (que j’ai pris le temps de lire car ces derniers temps je peine à ouvrir les Bateleur), j’ai découvert 2 mots et leurs concepts : je n’en avais encore jamais entendu parler de cette « agentique » (visiblement mon clavier non plus) !
Effrayant mais va pour la piraterie 🏴☠️
C'est effarant et effrayant ! Serons-nous suffisamment nombreuses et nombreux à faire acte de piraterie pour que l'humanité recouvre la raison?