Édition spéciale : virus de printemps et fuite d'eau
Le Bateleur #26 [Édition gratuite d'Avril] - Tous les vendredis, des idées pour penser, inventer et se réinventer.
Édito : Avoir le temps de penser est un luxe
Comme tous les vendredis, j’avais prévu de vous envoyer une édition du Bateleur aux petits oignons. Un bel édito, un super sujet, des petits liens bien trouvés…
Et puis, un virus de printemps et une fuite d’eau ont eu raison de mes ambitions intellectuelles cette semaine.
J’ai compris une chose : avoir le temps de penser est un luxe considérable.
Ce n’est que lorsque le corps et les emmerdes du quotidien nous laissent tranquille qu’on a le temps de réfléchir au sens de la vie, à nos aspirations, à nos ambitions.
Penser à autre chose qu’à la journée qu’on est en train de vivre est donc un immense privilège réservé à une petite élite sur Terre. Et on l’oublie trop souvent.
Je crois que c’est donc aussi, en ce sens, un devoir à exercer pour celles et ceux qui en ont les capacités.
Si vous avez le temps, les moyens physiques et la possibilité d’écrire, de créer ; si la flemme est la seule barrière qui vous empêche de passer à l’acte, faites-le. Faites-le pour toutes celles et ceux qui aimeraient pouvoir s’offrir ce luxe.
Let’s dig in!
Kevin
Cette semaine, par manque de temps et de vivacité intellectuelle donc, j’avais deux options, envoyer la bouse de dernière minute ou ne pas publier.
J’ai finalement choisi une troisième option : utiliser mon réservoir de notes prises au fil de l’eau ces dernières années.
Voilà donc trois petits textes issus de mes réflexions personnelles. Ils parlent de moments de vie, de ressentis et d’émotions. Certains sont drôles, d’autres plus mélancoliques. Vaste programme !
J’ai longtemps hésité avant d’envoyer cette édition plus personnelle. C’est tellement plus simple de rester caché derrière de grands noms d’auteurs. Et puis j’ai réalisé que je vous parlais souvent d’audace et de courage, c’est le moment pour moi d’en faire preuve.
J’espère que toute cette matière vive vous incitera à entamer une démarche introspective qui viendra alimenter votre feu créateur 🔥, ça reste la mission première du Bateleur !
PS : si vous venez juste de rejoindre Le Bateleur, vous vous demandez peut-être qui est ce type qui se prend pour Houellebecq, le talent en moins. Je vous suggère quand même de rester abonné et de patienter en visitant les archives pour retrouver des sujets plus classiques. Bonne découverte 🫖
🧸 La fin de l’enfance
L’enfance s’arrête lorsqu’on est plus capable de courir sans raison.
Cette fougue, cette envie dévorante, ces fourmis dans les jambes qui nous disent que le temps est trop précieux pour se contenter de marcher pour rejoindre un copain.
Devenir adulte, c’est ne plus courir que pour :
faire un jogging
éviter d’être en retard
Voilà les deux seuls cas socialement acceptables. Mais courir d’envie, courir d’excitation, c’est le privilège de l’enfant.
💾 Les dernières fois
On ne remarque jamais les dernières fois. Elles passent, silencieuses, comme des ombres, sous nos yeux de vivants endormis.
C’était la dernière fois que je voyais mon grand-père. C’était la dernière fois que je faisais l’amour avec elle. C’était la dernière fois que je partais en vacances avec mon ami.
On ne réalise jamais que c’est la dernière fois. Ce n’est que quelques mois, quelques années plus tard, que l’on se retourne pour contempler ces moments qui ne reviendront pas. Alors, cette fois-là, qui semblait commune à toutes les autres, se fige dans le temps. Elle reste gravée dans le marbre, comme une épitaphe que l’on n’a même pas choisie.
On peut orchestrer ses premières fois. On organise les choses de telles manières à ce qu’elles soient parfaites. Même si elles ne le sont pas, on se donne du mal pour qu’elles soient à la hauteur. Mais les dernières fois, non. Elles trahissent nos fragilités, alimentent nos regrets éternels, car elles ne sont que des moments de vie ordinaires.
Il ne faudrait pas s’en vouloir de vivre des moments de vie ordinaire, de manière ordinaire. Mais l’on imagine toujours ce que l’on aurait dû dire ou faire, comme s’il fallait absolument que la dernière fois soit extra-ordinaire.
Plusieurs fois dans ma vie, il m’est arrivé d’avoir cette intuition de dernière fois. Un regard insistant sur un moment de vie. Souvent, je me suis trompé, quelques fois, j’ai vu juste. Parfois avec joie, parfois à contrecœur.
🍞 Le complexe du pain de mie
Lorsque j'avais 12 ans, j'ai mangé une tranche de pain de mie. Celle qu’il ne fallait pas manger. Cette première tranche, celle qui, je l’ignorais à l’époque, servait à conserver les autres tranches. Appelons-la, la “tranche parasol”.
Voyant que mes camarades avaient laissé cette tranche de côté lors d’un goûter de classe, je m’empressais de la saisir, par politesse et par sens du collectif. C’est alors que j’ai vu dans leurs yeux un mélange de tendresse et de pitié.
- Et bien quoi ? Demandais-je.
Deux camarades m’ont expliqué. Cette première tranche protège le reste des tranches, elle les empêche de sécher. Elle ne doit pas se manger.
Pourtant, moi, j'avais toujours mangé la première tranche, et dans ma famille, on ne se posait pas la question de l’essence des tranches. C’était même plutôt mal vu de laisser la première tranche, c’est comme choisir son morceau de viande à table : “on ne choisit pas, c’est mal poli ”. On prend ce qui vient, et on se plaint pas.
Mais pour eux, ce geste sacrificiel était tout à fait ridicule.
Trahison !
Le rideau tombait devant les yeux déconcertés de mes camarades. J’avais été trahi par ma propre famille. Jamais on ne m’avait expliqué la fonction primordiale de cette tranche. Je portais désormais le sceau de la honte sur le front. Je n’étais et je ne serai jamais comme eux.
Des années d’infiltration, à copier, mimiquer, apprendre de leurs faits et gestes pour enfin faire partie du groupe, gâchées par un moment d’inattention. J’étais le seul mouton noir au milieu du troupeau. Et le pire, c’est que cette tranche n’était vraiment pas bonne.
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Les anciennes éditions gratuites à (re)découvrir
📕 Edition #22 - Longue vie à l'inutile
📗 Edition #18 - 10 livres qui m'ont fait grandir
📘 Edition #13 - Parlons d'amour !
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Kevin, nous sommes chanceux de lire tes billets personnels. Finalement tes tracasseries furent un mal pour un bien car tu nous donnes l'occasion de mieux te connaître.
Les 3 thèmes que tu abordes font écho à certaines de mes réflexions, celle sur l'enfance en particulier.
Mon fils de 15 ans m'a dernièrement fait part de la nostalgie de son enfance, pas si lointaine pourtant. En pleine réflexion sur ses choix d'orientation, il se rappelle que sa seule préoccupation quand il était à l'école élémentaire c'était de choisir des baskets qui courent vite, et cette insouciance lui manque déjà! Comme je le comprends.
PS : le complexe du pain de mie est une anecdote savoureuse.
Je me fais souvent cette même réflexion sur l’enfance. Parfois j’ai envie de courir voire taper un sprint sans raison, dehors. Enfant, je l’aurais fait sans même y réfléchir. Adulte, je ne le fais pas car je pense au regard des autres (alors qu’à la campagne, il n’y a personne). 🙃
Dans la même veine, je me dis souvent qu’entrer dans le monde du travail nous lisse. On perd souvent nos petites particularités pour nous conformer aux attentes de la société.