♠️ L’inquiétante étrangeté de l’IA (et un éloge de la normalité)
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Comme un léger malaise
Je ne sais pas si c’est votre cas, mais je suis déjà fatigué des images générées par intelligence artificielle.
Un petit tour sur un célèbre site de e-commerce français ce matin et je vois de plus en plus de marques utiliser ces formes humaines pour présenter leurs produits.
À priori rien d’anormal. Une tête, deux bras, deux beaux jeunes être humains qui ont l’air heureux d’être là.
Et pourtant, plus on regarde l’image, plus un sentiment de malaise s’installe.
Comme une inquiétante étrangeté, sentiment décrit par Freud pour décrire l’angoisse éprouvée face à quelque chose qui nous est familier.
Qui n’a jamais rencontré ce sentiment étrange et effrayant dans quelque situation pourtant familière ?
Quelque chose alors dépasse le sujet, quelque chose qui vient d’ailleurs, d’un Autre qui impose son obscure volonté.
L’angoisse qui s’insinue, qui envahit de son malaise vague, renvoie à celle originaire du nourrisson, dépendant pour sa survie tant psychique que physique d’un extérieur qui lui échappe totalement.
L’inquiétante étrangeté, c’est quand l’intime surgit comme étranger, inconnu, autre absolu, au point d’en être effrayant.
L’inquiétante étrangeté - Martine Menès
Un rejet épidermique instantané, qui touche à des réflexes archaïques.
Ma réaction m’a rappelé une scène culte du film 99 francs dans laquelle Jean Dujardin s’énerve contre la famille parfaite Kinder qui répète en boucle “Éric a gagné le match ! J’ai marqué trois buuuuts !”
“Mais quel match ? Du foot ? Du water-polo ? Du tennis ? Put$in mais quel match ! Vous n’existez pas m$rde ! Allez-vous en, partez !”
C’est exactement ce que j’ai eu envie de crier à ces amas de pixels à forme humaine qui me regardent avec insistance.
Chacun de leurs traits est conçu pour incarner un idéal de beauté. Une symétrie parfaite, des peaux sans pores, des cheveux impeccables… Et pourtant, c’est précisément cette perfection qui les rend si dérangeants.
Alors, oui, on peut imaginer que la production d’images artificielle va encore s’améliorer.
Mais progresser vers quoi ? Vers plus de perfection ? Générer des yeux plus bleus que bleu, des dents encore plus blanches ? Des cheveux encore plus soyeux ?
Il me semble que la progression asymptotique des modèles vers une sorte de beauté idéale ne fera que les éloigner du réel.
Ce que l’IA ne parvient pas à saisir, c’est la texture du vrai. Ce mélange de symétrie et d’accidents. L’imperfection qui nous rend profondément humains.
Et je ne crois pas que ce soit un hasard si, en parallèle, nous éprouvons une fascination grandissante pour tout ce qui est normal, brut, imparfait.
Ne serait-ce pas une forme de résistance silencieuse, un attachement instinctif à ce qui vibre, respire et une manière de lutter contre l’idée de mettre le beau en cage ?
Aujourd’hui, je vous propose un petit éloge de cette imperfection parfaite qu’est la réalité à travers l’émergence de nouveaux anti-héros attachants.
Let’s dig in!
Kevin
Bloquée dans la vallée de l’étrange
Ce sentiment de malaise que l’on ressent face aux images artificielles est un phénomène bien connu en psychologie cognitive : la vallée de l’étrange (Uncanny Valley).
Dans les années 70, un ingénieur japonais du nom de Masahiro Mori étudiait la relation homme/robot.
Il a remarqué que, plus les robots ressemblent à des êtres humains, plus notre capacité à les aimer et à interagir avec eux s’améliore… avant de chuter brutalement.
Lorsque la ressemblance est trop forte, le trouble s’installe et nous avons des mécanismes de rejet profond (un peu comme ce qui m’est arrivé).
Lorsque les frontières se brouillent trop, l’imitation devient trop parfaite pour être perçue comme un simple artefact, mais trop imparfaite pour nous sembler authentique.
Les chercheurs ont conclu que, pour être accepté, le robot ne doit pas jouer à ressembler à un humain. Sinon, c’est beaucoup trop creepy.
En clair, on a abandonné les robots qui ressemblaient à ça :

Pour se tourner plutôt vers ça :
Des robots à l’esthétique non-humaine, qui ne prêtent pas à confusion dans leur apparence et ne cherchent pas à se fondre dans la masse. On les accepte beaucoup mieux.
Pourtant, j’ai l’impression qu’avec ces mannequins d’e-commerce générés par IA, on retombe exactement dans le même piège.
Individuellement, chaque élément semble correct : des yeux brillants, une posture naturelle, un sourire Colgate. Mais mis ensemble, quelque chose sonne faux.
Le regard est trop vide, la peau trop lisse, la symétrie trop parfaite. Ce n’est plus une image, c’est un simulacre, une illusion qui tente d’endosser les apparences du réel sans jamais en capturer l’essence.
On pourrait croire que l’évolution technologique finira par gommer ces imperfections, que les algorithmes s’affineront jusqu’à nous proposer des figures totalement indiscernables de modèles humains réels.
Peut-être. Mais cela résoudrait-il vraiment le problème ?
Car ce qui nous dérange, ce n’est pas seulement le degré de réalisme. C’est le fait même que quelque chose d’inhumain cherche à nous séduire en empruntant les traits de l’humain.
Cela nous renvoie à une peur archaïque : celle de la perte de repères, du brouillage des frontières entre le vivant et l’artificiel.
Besoin d’imperfection et de normalité
Un shoot de réel en intra-veineuse…
Vous vous souvenez probablement de ce célèbre tireur turc aux Jeux Olympiques de Paris, peut être moins de son nom : Yusuf Dikec.
Mais est-ce que vous connaissez Stephen Bunting, LA star des fléchettes en Angleterre ? Ne riez pas trop, c’est un sport très sérieux chez nos amis d’outre-manche.
Chaque semaine, Stephen remplit des salles entières qui viennent voir son entrée en scène mythique sur Titanium de David Guetta.
Alors, pourquoi je vous parle d’eux ?
Parce qu'ils incarnent une nouvelle forme d’adhésion collective et traduisent une certaine fatigue face aux standards de beauté.
Une lassitude vis-à-vis des injonctions à la performance, au "toujours plus".
On ne cherche plus des héros sculptés à la perfection, mais des figures qui respirent le vrai, le brut.
L’engouement pour ces personnages montre une chose : la normalité fascine. Et pas n’importe laquelle. Une normalité assumée, décomplexée, qui s’affranchit des codes de la perfection lisse et préfabriquée.
Regardez le retour de la série Bref. La vie d’un quadragénaire parisien, pleine de doutes et de petites absurdités du quotidien. Juste du réel, sans fard et ça cartonne.
Notez aussi le succès sur Instagram des comptes de normal guys (et girls) qui filment leur quotidien non-extraordinaire.

Le réel entre en résistance
En contrepoint des images artificielles ultra-lisses qui envahissent nos vies, nous cherchons d’autres modèles.
Des visages qui portent des traces du temps et du réel. De gros ventres, des crânes chauves, des gestes hésitants, des vies banales et un peu chiantes.
Autant d’éléments qui nous rappellent que l’humain est d’abord un être en mouvement, en fluctuation, en déséquilibre.
Une forme de réassurance aussi dans un monde où l’IA tend à gommer les imperfections.
Et c’est peut-être là que réside notre ultime résistance face à la perfection artificielle : dans ce besoin de se rattacher à ce qui nous ressemble vraiment. À ce qui est désordonné et aléatoire. Bref, à ce qui vit et pue le réel.
👁️🗨️ Et vous, avez-vous déjà ressenti ce trouble face à une image IA sans comprendre pourquoi ? Quels sont vos nouveaux héros normaux préférés ?
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Kevin
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Analyse très intéressante, mon crâne a fait boum à « Car ce qui nous dérange, ce n’est pas seulement le degré de réalisme. C’est le fait même que quelque chose d’inhumain cherche à nous séduire en empruntant les traits de l’humain. ». Merci !
Bunting & Co. Premium Imperfect 📈 . Sleaford Mods vibe
https://youtu.be/iKcbSOjIzjQ?si=AIqmE-9uInVSOhYS