Vivre une vie asymétrique, freestyle poétique et d'autres choses
Le Bateleur #12 : Tous les vendredis, des idées pour penser, inventer et se réiventer.
Édito : « Et une belle année 2024 ! »
“Belle année”, “belle journée” : même combat !
Deux expressions qui illustrent la malédiction moderne du “triturage” des mots selon moi.
À force de vouloir éviter les répétitions, à force de chercher des mots originaux et des tournures uniques, on en vient à ne plus utiliser les bons mots.
Les mots simples. Basiques. Ceux qui veulent pourtant dire quelque chose.
Dans Le Bateleur, j’essaie d’utiliser ces mots. Ceux de la vie de tous les jours. Finalement, je trouve que ce sont ceux qui ont le plus de sens, car ils résonnent vraiment en nous.
Mon role model dans l’exercice étant Annie Ernaux (❤️), son style est un savant équilibre entre puissance, simplicité et touche personnelle. (Annie, es-tu lectrice du Bateleur ?)
En parlant de touche personnelle… j’ai rajouté dans cette édition un texte issu de ma cuvée. Un exercice purement stylistique que je n’oserais pas appeler poésie, mais qui, je crois, s’en approche un peu.
Le Bateleur, c’est aussi l’amour des mots. Et parfois, ils n’ont pas besoin de raison particulière pour être écrits.
Let’s dig in!
Kevin
🧘🏻♂️ Wisdom Snack : Vive la vie asymétrique !
Comment une stratégie de fonds d’investissement est devenue une philosophie de vie. Ok, dis comme ça, on dirait un post Linkedin capillotracté… mais c’est intéressant, promis.
Je ne suis généralement pas fan des gourous de la finance…
Mais il faut savoir repérer les moutons noirs.
Récemment, je suis tombé sur une intervention de Graham Weaver à Stanford, aujourd’hui dirigeant d’un fonds d’investissement à impact.
J’ai trouvé son témoignage touchant et juste, il a beaucoup résonné en moi.
Sa thèse en quelques mots : on perd trop de temps à vivre une vie qui ne nous ressemble pas en se cachant derrière des arguments rationnels qui nous incitent à “ne pas perdre”, “ne pas souffrir”.
Bref, on cherche toujours le confort plutôt que le risque.
Pourtant, chaque bonne décision se trouve derrière un moment difficile à passer, une prise de risque.
Je vous invite à découvrir son intervention complète en vidéo (40 minutes en anglais, mais ça vaut le coup.)
Sinon, j’ai fait le travail d’analyse pour vous (de rien) et j’y ai ajouté tout un tas de réflexions personnelles 🫡
Tout part de quelques investissements ratés
Alors qu’il n’était qu’un jeune diplômé de Stanford à la tête d’un fonds d’investissements dans la Valley, Graham nous raconte ce jour où il a annoncé à son plus gros client qu’il avait perdu 50 % de sa fortune personnelle. Gloups.
Ce qui l’a amené à cette perte selon lui : une stratégie de “don’t lose money”.
Concrètement, il se focalisait sur des petits investissements et essayait de faire des coups en achetant des entreprises légèrement décotées pour les revendre quelques années plus tard.
Surtout ne pas perdre de l’argent. C’est comme ça qu’il décrivait l’obsession de ces premières années d’investisseurs.
Crise de la trentaine
Un échec professionnel qui l’a poussé à se questionner sur son approche de la vie en général.
Dans ses relations amoureuses notamment (oui, les investisseurs ont aussi un petit cœur qui bat), il appliquait la même logique : surtout ne pas souffrir.
Le problème, c’est que cette attitude, qui pousse à avancer en permanence avec le frein à main, conduit à des échecs auto-réalisateurs.
Ne pas totalement se livrer par peur d’avoir le cœur brisé n’inspire pas confiance. On ne crée pas de relation forte, ce qui mène à l’échec et vient confirmer l’intuition initiale… qu’il ne fallait pas se livrer.
Bref, sa vie était guidée par une “logique symétrique” : chercher à réduire les risques en permanence, une attitude que l’on pourrait résumer par “playing not to lose”. La peur étant son conseilleir principal.
À cela, il a substitué une logique asymétrique : qui invite à se concentrer sur les opportunités qui peuvent découler d’une prise de risque, sans penser tout le temps aux coûts de la prise de risque, aux difficultés liées au changement.
Voici donc 3 principes pour avancer dans la direction d’une vie asymétrique👇🏻
1. Oser emprunter un chemin difficile
On associe trop souvent épanouissement personnel et confort.
J’ai l’impression d’ailleurs, que la promesse du confort se confond à celle du bonheur dans notre société. “Gagnez assez d’argent pour vous offrir une vie confortable remplie de Netflix et de livraisons à domicile et vous serez comblé”.
Les milliardaires en bitcoins et les influenceurs en drop shipping sont érigés en icônes désirables. Avec la même histoire en toile de fond : dépenser le moins d’énergie possible tout en gagnant un maximum d’argent.
C’est le triomphe ultime de L’Homo Economicus, figure théorisé par les économistes libéraux du 19e siècle. Il représente cet agent économique rationnel qui essaie d’obtenir “la plus grande quantité de biens avec la plus petite quantité de travail possible”.
Sauf qu’en ne recherchant que le confort, la facilité, en évitant tous les inconforts, on se retrouve à s’engager dans des voies qui ne nous correspondent pas.
On ne prend plus aucune décision difficile, puisque chaque changement se cache derrière un inconfort.
Changer de job, apprendre une nouvelle compétence, quitter une relation toxique, etc…
Heureusement, on peut apprendre à se sentir à l’aise dans l’inconfort. C’est une compétence qui s’apprend comme n’importe quelle autre.
Avec le temps, ces situations de transition paraissent moins insupportables. Les sentiments de peur et d’angoisse s’atténuent au fur et à mesure que l’on s’expose aux changements.
Chaque fois que l’on prend une décision courageuse, c’est un peu moins difficile que la fois précédente.
2. Oser suivre sa propre voie
Le Dukkah est un concept central du Bouddhisme. Et je vous préviens, il va pas vous redonner le sourire, en tout cas dans un premier temps.
Il peut se résumer ainsi :
« La vie est souffrance. Quel que soit le chemin emprunté. »
La naissance est souffrance, la maladie est souffrance,
la vieillesse est souffrance, la mort est souffrance.
Être lié à ce qu'on n'aime pas est souffrance,
être séparé de ce qu’on aime est souffrance,
ne pas obtenir ce que l’on désire est souffrance.
-
Texte extrait de l’Institut d’Etudes Bouddiques (le science po du Zen)
La leçon du Bouddha sur le Dukkah : passer sa vie à éviter la souffrance est impossible, puisque la vie est souffrance. Alors… autant souffrir pour quelque chose qui compte vraiment pour nous !
Pour illustrer cette approche, voici une anecdote de la vidéo de Graham dans laquelle je me reconnais assez.
Il raconte comment, lors de ses premières années dans une grande entreprise de Private Equity, il se retrouvait à des dîners face à des gens passionnés par leur métier.
Il y avait tant de force et de conviction dans leurs discours. “On dirait qu’ils allaient coloniser Mars” raconte-t-il. Pour lui au contraire, son job n’était pas si important.
Le déclic : il a compris qu’il serait toujours moins bon qu’eux dans ce domaine, car la passion leur donne une énergie supplémentaire, un supplément d’âme que lui n’avait pas.
“You're not you're not going to win doing someone else's dream. You can survive for a little while, but you're not going to win.”
Graham Weaver
Lorsque tout notre être est pleinement investi, nous disposons d'un super pouvoir qui nous rend plus convaincants, une énergie inépuisable.
On ne profite pas de ce pouvoir tant qu’on vit le rêve de quelqu'un d'autre.
3. Le faire pendant des décennies
Le temps est le facteur le plus puissant dans l’apprentissage d’une nouvelle compétence et dans les changements de vie.
Prenons un exemple.
→ Vous pouvez sauter cette partie si vous n’aimez pas les chiffres
Disons que vous souhaitiez vous mettre aux échecs en y consacrant 2h par semaine pendant 10 ans.
-> Aux échecs, on calcule le niveau d’un joueur par une système de notation qui va de 1000 à 3000 (en gros).
À ce rythme-là, on estime que vous améliorez votre niveau de 5 %/an (c’est une hypothèse).
-> Si on veut calculer votre niveau dans 10 ans, on peut appliquer la formule des intérêts composés :
Niveau futur = Niveau actuel X (1+5%)^10
Vous serez donc proche du niveau 1700 dans 10 ans (si vous partez du niveau 1000), ce qui vous donne le niveau d’un bon joueur de club.
Imaginez maintenant que vous y consacriez non pas 2h, mais 4h/semaine. On estime alors que votre niveau s’améliore de 10 % /an.
Par contre, au lieu d’y consacrer 10 ans, vous n’y consacrez que 3 ans.
Et bien, vous dépasserez à peine le niveau 1300.
Conclusion : l’intensité de l’apprentissage et le niveau de départ comptent finalement peu dans votre niveau de compétence futur.
Ce qui a le plus d’impact, c’est le temps : à savoir le nombre d’années où vous vous dédiez à la tâche.
C’est donc plus important de trouver un rythme avec lequel on se sent à l’aise pour se lancer dans une nouvelle activité, dans une nouvelle direction de vie, plutôt que de cramer son énergie dans un sprint qu’on sera incapable de tenir.
La même logique est à l’œuvre derrière la mécanique de la pensée exponentielle (si vous voulez vous rafraîchir la mémoire, c’est dans l’édition #4 du Bateleur).
👁️🗨️ Learnings du Bateleur
Vivre une vie asymétrique, c’est vivre une vie remplie de décisions courageuses. Essayer d’être moins guidé par la peur et la recherche constante de rationalité qui nous incite à minimiser les risques et à peser le pour et le contre.
Spoiler : il y aura toujours “un contre” et de la souffrance. Quelque soit le chemin. Mieux vaut donc choisir un chemin de “souffrance agréable” qui compte pour soi.
Et pour clôturer le sujet, je vous laisse avec une citation d’Antonin Artaud que j’aime beaucoup et que j’ai retrouvée dans La Zone du Dehors, roman d’Alain Damasio :
« Qui ne sent pas la bombe cuite et le vertige comprimé n'est pas digne d'être vivant.»
🎤 Freestyle poétique : La femme au perroquet
Difficile de chanter les louanges du courage… sans en faire preuve moi-même !
Je crois qu’avec Le Bateleur, je cherche aussi un prétexte pour écrire.
Alors voici mon intention dénuée de toute carapace, simplement des mots qui répondent à des émotions et des ressentis. On pourrait appeler ça de la poésie de rue ou du freestyle poétique.
J’ai écrit ce petit texte en juin 2021 aux alentours du parc des Tuileries.
- La femme au perroquet - Son regard ne trompe personne, Elle n'a d'yeux que pour son gris du Gabon. Autour d'eux, les passants s'étonnent, Mais rien ne vient troubler sa déclaration. Ce duo amoureux de la vie, a trouvé son coin de paradis, au milieu des rires des enfants. Elle, l'infirme clouée au sol. Lui, le superbe prêt à l'envol. Entre eux, l'équilibre fragile des choses de la vie.
🙋 Sondage : Les freestyles poétiques… on continue ?
🎒 Dans le sac du Bateleur
🍿 39-45 : l’Humanité en guerre (Netflix) : une mini-série sur la seconde guerre mondiale qui sort du lot grâce à des témoignages de survivants de tous bords. Utile pour comprendre la fragilité de la paix et la psychologie de la guerre.
📚 Les autruches (Marie-Amélie Chéreau) : un livre qui va chercher quelque chose au fond des tripes. Un récit sur la fureur de vivre qui m’est tombé entre les mains et qui m’a particulièrement touché. (Et son autrice lit le Bateleur ! )
🎧 Khruangbin Live (YouTube) : Il m’arrive de trouver des pépites musicales à retardement. Ce mois-ci j’ai découvert Khruangbin, groupe de rock psyché américain, et je me lasse pas de ce live de 2018.
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Ce que je retiens c'est l'éloge du temps long et de la persévérance. Il faut (accepter de) patienter avant d'atteindre le confort dans l'inconfort.
Géniale cette édition !
C'est LE sujet qui me parle particulièrement en ce moment, et qui est intimement lié au sujet des émotions : comment développer sa capacité à affronter des émotions inconfortables (la honte, la peur de l'échec etc...) pour prendre le risque de faire ce qui nous passionne, nous donne envie ?
Le courage n'est pas l'absence de peur mais la capacité à l'accepter et la dépasser