La pire année de l'Histoire de l'Humanité (et ses enseignements)
Le Bateleur #53 - Tous les vendredis, des idées pour explorer la connaissance de soi et du monde. En 7 minutes de lecture - Gif et bande son inclus.
2024 touche à sa fin…
Une année marquée par son lot d’instabilité et de chaos.
Mais ici, j’aime prendre le temps de replacer les choses en perspective. L’exercice du jour n’a pas pour but de minimiser nos défis actuels, ni de sombrer dans le catastrophisme. Voyez-le plutôt comme une invitation à prendre du recul, à scruter le passé pour mieux éclairer notre modernité. Car souvent, l’histoire a plus à nous apprendre qu’on ne le croit.
C’est dans cet esprit que je vous propose aujourd’hui un détour par l’année 536, souvent qualifiée par les historiens comme la pire année de l’histoire de l’humanité (si tant est qu’on puisse hiérarchiser les malheurs). Une année où l’obscurité s’étendait au sens propre comme au figuré.
L’occasion d’en apprendre un peu plus sur nous, l’espèce humaine, notre comportement face au chaos et notre capacité de résilience !
Let’s dig in! 🫡
Kevin
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Que peut-on apprendre sur 536, la pire année de l’histoire de l’Humanité ?
Imaginez…
Depuis quelques mois, le soleil n’est plus qu’un disque pâle et fantomatique. En cette étrange année 536, le temps semble suspendu, et même les dieux semblent avoir détourné le regard.
Ce matin ressemble comme deux gouttes d’eau à celui de la veille. Vous vous levez sous un ciel gris, chargé d’une lumière blafarde qui ne réchauffe ni la peau ni l’âme.
Les champs sont morts, leurs sols craquelés refusant de laisser pousser quoi que ce soit. Certains évoquent la colère divine, d’autres parlent d’un cataclysme dont personne ne saisit l’origine. Vous ne savez pas qui croire et scrutez le ciel à la recherche de réponses, mais il n’y a que ce voile de cendres qui étouffe tout.
Dans les rues, la vie continue, mais de manière fragile et étrange. Les voix sont basses, comme si parler trop fort pouvait aggraver la situation. Sur le marché, les étals sont vides ou presque.
Hier, deux hommes se sont battus devant vous pour un sac de grains. Plus tard, vous avez vu cet enfant pleurer, tenant faiblement un morceau de pain rassis entre ses mains. Il n’y a bien que les rats qui sont à la fête.
Personne n’ose encore en parler ouvertement… mais vous commencez à voir ce mot se dessiner sur toutes les lèvres : peste.
Chez vous, le froid pénètre partout. C’est l’été, pourtant, le sol gèle la nuit.
Vos réserves s’amenuisent et vous commencez à compter les jours. Si cette obscurité dure encore longtemps, que va-t-il se passer ? Vous avez entendu des récits effroyables : des villages entiers morts de faim, des montagnes où les familles périssent sous la glace. Vous tremblez à l’idée que cela puisse arriver ici, dans la capitale.
Votre cousin, marchand itinérant, est revenu de Syrie. Ses nouvelles sont pires encore : des peuples entiers en fuite, des guerres éclatant pour des miettes, des famines si terribles que des hommes mangent l’écorce des arbres.
Ici à Constantinople, l’empereur Justinien tente de maintenir l’ordre, mais même ses gardes tombent malades. Dans certains quartiers, les cadavres s’entassent. Personne ne veut les toucher, par peur ou par lassitude.
Et pourtant, vous êtes là, vous tenez. Vous cherchez chaque jour un moyen de survivre. Parfois, vous croyez sentir un frisson d’espoir… peut-être que cette obscurité prendra fin. Peut-être que le soleil, un jour, percera de nouveau ce voile étouffant.
L’humanité a traversé tant de tempêtes. Pourquoi pas celle-ci ? Pourtant aujourd’hui, comme hier, aucun signe de terre en vue…
Retour en 2024 2025
Ce petit récit a pour but de vous faire ressentir ce qu’aurait pu vivre un habitant de Constantinople en l’an 536. J’espère que vous avez profité du voyage !
Je précise que ce n’est pas un simple récit de fiction, des historiens ont pu confirmer tous ces événements grâce à l’étude d’échantillons de glaciers et d’arbres ancestraux. (Je ne garantis pas la véracité de l’anecdote du marchand itinérant toutefois.)
Pour satisfaire vos esprits curieux, voici un récapitulatif de tout ce qui s’est passé cette année là :
Une (ou plusieurs) éruptions volcaniques gigantesques : Le Krakatoa ou le volcan de San Salvador, ou peut-être les deux en même temps, sont entrés en éruption. L’événement a projeté des cendres et de la poussière très haut dans l'atmosphère, entraînant un véritable "hiver volcanique" qui a recouvert une bonne partie de l’humanité.
Le soleil a disparu pendant plus d’un an : et ce n’est pas juste une façon de parler. Les cendres volcaniques ont créé un brouillard qui a bloqué la lumière du soleil pendant 18 mois (!) dans la plupart des régions du globe.
On a retrouvé des écrits d’un scribe byzantin, Michel le Syrien, qui parle d’une éclipse qui n’en finit pas, avec quelques heures de lumière par jour seulement...
Des catastrophes naturelles qui s’enchaînent et qui précipitent des conflits : le voile de cendres a entraîné une baisse significative des températures dans le monde entier. Cette ombre solaire a perturbé l'agriculture et provoqué une famine mondiale.
Le refroidissement inhabituel a aussi causé des inondations en Afrique du Nord et sur les côtes américaines, décimé les populations de poissons et entraîné la mort du bétail. À la clé : des soulèvements et des migrations importantes en raison du manque de ressources.
Avec une pandémie de peste en prime : c’est également le début de la première pandémie connue de peste bubonique, appelée la Peste de Justinien (pas le plus bel héritage de l’empereur Justinien…). La peste s'est propagée rapidement, exacerbée par les conditions d’hygiène et de désordre social existantes, causant des millions de morts.
Conclusion : éruptions volcaniques d’une ampleur inégalée→ refroidissement climatique → famines + peste → troubles sociaux et migrations = pire année de l’Histoire sur Terre. Chaque crise étant amplifiée un peu plus gravement par la précédente.
Pour la petite histoire (dans la grande), les chercheurs analysent les traces de plomb contenues dans les carottes de glace pour étudier les crises de cette époque. Ils relient la concentration au plomb à l’activité minière et monétaire (donc à l’activité économique).
Les pics de plomb dans l’atmosphère marquent des phases de prospérité (on extrait plus de plomb = l’économie va bien), tandis que les baisses reflètent des crises, comme les pandémies.
À partir de 536, on observe un fort décrochage de la concentration atmosphérique du plomb jusqu’en 640 environ.

Si vous voulez en savoir plus sur la période, voici la vidéo passionnante qui m’a inspiré cet article.
(Pour une fois, on peut remercier un algorithme).
Quelques pistes de réflexion
L’année 536 peut nous offrir des leçons précieuses, notamment sur notre capacité collective et individuelle à naviguer dans des périodes de chaos et d’incertitude. Voici deux réflexions que j’ai envie de vous partager ici :
1. Les polycrises produisent des malheurs aux résultats exponentiels et nécessitent des solutions globales
536 est un exemple frappant de ce que les chercheurs appellent aujourd’hui une "polycrise" : des crises d’origines différentes mais qui interagissent les unes avec les autres de telle sorte que le choc produit par l’ensemble est supérieur à la somme de chacun pris isolément. Le terme vient du philosophe Edgard Morin.
Une éruption volcanique massive a engendré un refroidissement climatique, qui a perturbé l’agriculture, provoqué des famines, exacerbé des tensions sociales, déclenché des migrations massives et facilité la propagation d’une pandémie.
J’ai le sentiment (partagé par d’autres) que nos défis actuels prennent de plus en plus la forme de polycrises, qu’il s’agisse du changement climatique, des pandémies ou des crises sociales.
L’interdépendance globale des systèmes d’informations, des économies, des Hommes et des cultures, font que les crises se propagent et se nourrissent mutuellement.
Cela signifie aussi que les solutions ne peuvent pas être isolées, elles nécessitent une approche globale et systémique. Plus précisément, pour en venir à bout, il faudrait :
Explorer les interactions induites par les différentes crises et la manière dont elles s’auto-alimentent.
J’aime bien cette vision du chercheur canadien Thomas Homer-Dixon lu dans le Ny Times qui montre bien l’interdépendance des crises actuelles :
« Le réchauffement climatique nuit à la santé des personnes et provoque des catastrophes météorologiques qui affectent les infrastructures et la production alimentaire sur toute la planète. Dans les pays les plus pauvres, ces problèmes limitent la croissance économique et creusent les inégalités déjà existantes. Une croissance plus faible et des inégalités plus importantes, où qu’elles se produisent, intensifient l’extrémisme idéologique. Et cet extrémisme rend plus difficile l’établissement d’un consensus national et international sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ce qui aggrave la crise du réchauffement climatique. »
Comprendre que la coopération internationale est la seule solution pour lutter contre des problèmes systémiques qui entrent en résonance.
Comme le résume Hubert Joly, enseignant à Harvard : « en situation de polycrises, quel leader sérieux peut imaginer pouvoir s'en sortir tout seul ? »
Et malheureusement, on est encore assez loin de cette prise de conscience collective…
2. L’humain est hyper résistant en tant qu’espèce.. mais très fragile au niveau individuel.
En 536, malgré des conditions presque inimaginables, l’humanité a survécu.
Je trouve ce paradoxe assez intéressant : hyper fragilité individuelle d’un côté, grande résistance collective de l’autre.
En 536, les communautés ayant survécu sont probablement celles où la solidarité a joué un rôle clé : le partage des rares ressources, la coopération pour enterrer les morts et limiter la propagation de la peste, la transmission de savoirs pour cultiver dans des conditions extrêmes…
Lorsque nous nous rassemblons, quelque chose de plus grand émerge. Une résilience presque surnaturelle qui nous permet de traverser les tempêtes les plus violentes.
C’est peut-être là le plus beau paradoxe de notre espèce : nous sommes faits pour collaborer, non par choix mais par nécessité.
En 536, c’était le partage des miettes de blé et la solidarité face à la mort. Aujourd’hui, ce sont des défis globaux qui nous appellent à unir nos forces.
Et si, au fond, notre fragilité individuelle était le terreau de notre force collective ?J’espère sincèrement que cette idée infusera dans les esprits des décideurs en 2025.
💭 Et vous, que vous inspire cette année 536 ? J’attends vos commentaires en fin d’article !
🎧 Grace Ives • Babyyy
I have been dancing, you are romancing
I caught a glance and found you in a trance and
Thought this wouldn't faze me, now you call her baby
I'm scared you don't see me, now I just feel crazy
Think that I'll go home
Bonne écoute et à vendredi prochain ! 💌
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