Ce que nous apprennent les mythes sur nous-même
Le Bateleur #43 - Tous les vendredis, des idées pour explorer la connaissance de soi et du monde. En 7 minutes de lecture - Gif et bande son inclus.
Édito : L’abbé Pierre n’est qu’un myth(o)
Toutes les grandes civilisations, des Grecs aux Égyptiens en passant par les peuples nordiques, ont usé de la mythologie pour tenter d’expliquer la colère du ciel ou les cycles de la nature.
Mais ce n’est pas que l’apanage des peuples anciens.
Nous aussi, nous avons notre mythologie collective. Une galaxie d’icônes que l’on vénère et qui nous permet de donner du sens au monde qui nous entoure.
Le philosophe Roland Barthes s’est d’ailleurs amusé à étudier les mythes modernes dans son ouvrage Mythologies écrit en 1957.
On y retrouve l’analyse du bifteck-frites, l’étude de la symbolique du vin, l’examen de la Citroën DS. Il pose aussi son regard sur des mythes personnifiés comme le cerveau d’Einstein ou… l’iconographie de l’abbé Pierre.
Dans ce passage, Barthes s’amuse à décortiquer la signification des symboles derrière une célèbre photographie de l’abbé devenue une rock star des années 50.
Spoiler : c’est très drôle et incisif et je vous partage ici ce court extrait où il parle de sa coiffure.
La coupe de l'abbé Pierre, conçue visiblement pour atteindre un équilibre neutre entre le cheveu court (convention indispensable pour ne pas se faire remarquer) et le cheveu négligé (état propre à manifester le mépris des autres conventions) rejoint ainsi l'archétype capillaire de la sainteté : le saint est avant tout un être sans contexte formel ; l'idée de mode est antipathique à l'idée de sainteté.
Roland Barthes
On le sait désormais, l’abbé Pierre n’était pas qu’une sainte icône de la charité, il a également harcelé et agressé de nombreuses femmes avec la complicité de l’Église catholique.
On ne touche pas à un mythe. L’abbé était sûrement too big too fail, comme certaines grandes banques pendant la crise financière de 2008. Il a fallu le couvrir…
Alors, loin de moi l’idée de vouloir souffler sur les braises du bûcher que l’on a installé sur la place du village, et j’ai encore moi envie de lui trouver des excuses.
Mais ce scandale pose aussi la question de notre responsabilité collective dans la manière que l’on a de mettre des individus sur un piédestal. (oui, avant le bûcher y’a le piédestal).
Finalement, le mythe ne nous en apprend-il pas plus sur la société qui le construit que sur l’être humain qui se trouve derrière ?
Car le mythe est avant tout « un système de communication, un message » selon les mots de Barthes.
C’est une œuvre collective, une projection de nos imaginaires qui sert de refuge à nos peurs, nos angoisses, nos aspirations et nos fantasmes. Un objet social que l’on consomme et qui échappe totalement à la volonté de l’homme qui l’incarne.
De quoi le mythe de l’abbé Pierre était-il la projection ? Quelle était sa fonction sociale ? Dès 1957, Barthes avait donné des éléments de réponse.
Je m'inquiète d'une société qui consomme si avidement l'affiche de la charité, qu'elle en oublie de s'interroger sur ses conséquences, ses emplois et ses limites.
J'en viens alors à me demander si la belle et touchante iconographie de l'abbé Pierre n'est pas l'alibi dont une bonne partie de la nation s'autorise, une fois de plus, pour substituer impunément les signes de la charité à la réalité de la justice.
Roland Barthes (1957)
Autrement formulé, louer l'image charitable de l’abbé Pierre permet d’éviter de s'attaquer aux véritables problèmes posés par l'injustice sociale. Une manière de se donner bonne conscience, sans remettre en cause les mécanismes créateurs d’inégalités.
Mais quand l’image se déchire et que les costumes tombent, l’hideuse vérité se révèle à nous. Derrière le mythe, il n’y a qu’un homme dans toute sa perversion.
La chute de l’icône nous ramène aussi à nos propres responsabilités.
Aucun mythe, aussi puissant soit-il, ne devrait remplacer la volonté politique collective. Et, plutôt que de se réfugier derrière des icônes rassurantes, il faut savoir affronter les réalités complexes que l’on tente de cacher derrière.
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Dans l’édition d’aujourd’hui justement, je marche dans les (grands) pas de Roland Barthes en donnant ma lecture très personnelle d’un mythe grec que vous avez tous vu ou lu au moins une fois dans un célèbre Disney… oui, on va parler d’Hercule !
Let’s dig in!
Kevin
Les enseignements du combat d’Hercule face à l’Hydre immortel
Inspiré par les travaux de Roland Barthes, j’ai voulu creuser une scène mythologique que je trouvais intéressante : le combat d’Hercule contre l’Hydre.
Je trouve ce mythe particulièrement intéressant, car il touche à un thème qui me tient à cœur maintenant depuis des années, la quête de la liberté et d’indépendance.
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